Il y a quelques semaines, nous avons réuni 3 experts en campagnes politiques et mobilisation pour parler des enjeux des prochaines élections, allant des pratiques observées chez les campagnes les plus efficaces, aux innovations qui font progresser le secteur et permettent de mieux communiquer et engager les électeurs, en particulier en ces temps inhabituels. Nous avons compilé les temps forts de l’événement pour ceux qui l’ont manqué.
Durant cette période exceptionnelle, les campagnes ont employé des stratégies à fortes dimensions numériques. Le retour aux méthodes traditionnelles avec un aspect terrain plus fort se fera certainement mais en attendant, le numérique a une opportunité de prendre une place plus grande et permet d’expérimenter en amont des présentielles.
La campagne du futur ressemble à...
D'après Eve Zuckerman, pour faire une campagne innovante il faut utiliser le numérique pour entretenir des contacts de qualité et donner les outils aux militants pour qu’ils puissent contacter leur propres réseaux eux-mêmes (relational organizing). En comparaison, la relation avec une personne qui vient par le biais d’un ou une amie sera beaucoup plus facile à approfondir que celle émanant d’une prise de contact avec une organisation de campagne, plus impersonnelle. Les outils numériques peuvent nous aider à mener des campagnes plus humaines pour contacter les bonnes personnes et que les arguments utilisés soient les plus pertinents possibles pour la cible.
Selon Bruno Walther, l’avenir des campagnes politiques se trouve dans la manière de s’insérer dans le foisonnement d’initiatives existantes (par exemple les actions pour le climat) et de se placer en coordination, pour permettre à la communauté d’avancer et de devenir plus forte.
Ninon Lagarde encourage l’arrivée des méthodes d’intelligence collective qui fonctionnent et permettent d’établir un dialogue entre les citoyens sur de longues durées. Elles proposent un changement de vision de la gouvernance des campagnes. Sur ce point, on a pu voir pendant les municipales, des élections sans candidats pour une gouvernance partagée. Elle conseille d’investir dans l’intelligence collective et la gouvernance partagée pour les élections à venir car pour mieux impliquer les citoyens dans la campagne et après.
Les outils, à quoi ça sert ?
Selon Bruno la notion d’outils conviviaux est importante, elle permet d’établir une discussion non-violente et d’investir dans l’hospitalité. Il y a selon lui aujourd’hui peu d’hospitalité dans les campagnes surtout sur les questions d’accueil et de la valorisation des militants. Les outils permettent de retrouver l’un des fondamentaux du digital qui est de faire communauté en ligne.
Il donne l’exemple de l’usage des outils dans les communautés juives libérales pendant le confinement, notamment pour les cérémonies religieuses, qui maintenaient habituellement les liens de la communauté à la synagogue. Avec la tenue de rassemblements en ligne, des milliers de personnes ont pu se rendre davantage disponibles alors qu’elles n'étaient pas habitués à se rendre aux rassemblements physiques. C’est une belle démonstration que les outils numériques augmentent notre capacité à aller chercher l'hospitalité sans points de frictions. Son conseil d’expérimentation sur les prochaines élections est d’utiliser le logiciel Zoom pour des événements en ligne et de le coupler avec une base de données pour engager un maximum de personnes et entretenir la relation sur le long terme.
Pour Eve, il y a un gros enjeu à moderniser la communication sans exclure les générations. Les outils sont un vrai plus et permettent de trouver des moyens de faire campagne en étant plus efficaces, en facilitant par exemple les opérations de phoning ou de terrain. Cependant, il est important de penser à la formation des équipes et avoir un processus d’onboarding qui permet à chacun d'avoir les outils qui lui conviennent. La démographie des bénévoles peut être assez âgée car on leur demande de dédier beaucoup de temps à la campagne ce qui n’est pas toujours adapté aux capacités des personnes qui souhaitent s'engager. Elle conseille de bien demander aux personnes ce qu'elles souhaitent faire et de s’y adapter avec un système de référents.
Stratégies réseaux sociaux réussies
Eve Zuckerman a été inspirée par la communication de Joe Biden et Elizabeth Warren qui ont su communiquer de manière authentique sur les réseaux sociaux, en créant du contenu adapté à chaque type de plateforme et à leur électorat. Elle souligne l’importance des approches permettant de toucher des militants et électeurs qui ne sont pas des habitués de la politique. Il s’agit de trouver comment on peut s’approprier les codes des communautés sur les réseaux sociaux tout en restant dans sa ligne éditoriale. L’abstention est l’un des grands enjeux actuels et les campagnes doivent parler à de nouveaux publics d’électeurs potentiels qui ne sont pas abonnés aux réseaux sociaux de leurs candidats. Pour les prochaines élections, Eve conseille de travailler sur la création de contenu sur les réseaux sociaux en constituant une war room du contenu digital.
Ninon conseille s’inspirer du foisonnement d’initiatives non-coordonnées des campagnes d’entre deux tours des municipales comme par exemple celle de l’équipe de Poitiers collectif, un mouvement citoyen qui a innové sur sa communication sur les réseaux sociaux, par exemple sur le thème de l’appropriation de l’espace public (vide) pendant le confinement.
Le courrier papier, un choix compliqué ?
Pour Ninon, faire le choix du courrier papier (ou non) est important car il est pesant et coûteux. Il dépend de l’électorat et de la manière dont celui-ci considère le format papier, du candidat et des priorités de campagne et il ne doit pas prendre toute la place dans la stratégie de campagne.
Elle nous donne un exemple datant des municipales durant lesquelles les militants avaient rédigé des cartes postales à la main pour les distribuer dans les boîtes aux lettres de leur quartier et ainsi créer du lien. Le militant laissait ses contacts sur la carte et pouvait être recontacté par le ou la destinataire.
Envoi de SMS sans compter
On a vu une explosion de l’utilisation du SMS pendant les élections américaines et selon Eve c’est un canal très intéressant mais son utilisation massive peut être contre-productive. Il est le plus utile quand géré par les bénévoles qui peuvent répondre et avoir une conversation avec les personnes. Les outils comme CallHub (intégration NationBuilder) peuvent permettre d'inscrire automatiquement les personnes aux meetings avec réponses codifiées.
A méditer avant d’envoyer votre prochaine newsletter
Quelles sont les bonnes pratiques d’emailing? Eve conseille d’arrêter d’envoyer des newsletters trop longues et de penser à ce qui va intéresser plutôt que ce qu’on a a dire. “Est-ce qu’un de vos proches lirait la newsletter en entier ? Si la réponse est non ne l’envoyez pas.”
Il y a beaucoup de choses à expérimenter autour de la création de personas et de la personne qui prend la parole. De manière générale, pour avoir les meilleurs retours possible il est toujours conseillé d’avoir un message clair, un appel à l’action associé, et de cibler en fonction de la localisation.
Pour conclure, les conseils ultimes de nos intervenants sur le prochaines élections sont les suivants:
- Commencer tôt et systématiser l’accumulation d’adresses email en utilisant la technologie.
- Bien accueillir les militants, prendre le temps de la formation et réfléchir à leur montée en compétences.
- Bien traiter les électeurs en pensant à ce qui les intéresse et ne pas demander leur avis s’il n’y a pas de processus pour traiter l’information et s’en servir.
C’est le moment d’investir dans les outils numériques et d’expérimenter de nouvelles choses !
Liste des ressources partagées par nos intervenants :
- Livres : Aux sources de l'utopie numérique, Fred Turner (Bruno)
- Porte à Porte, Guillaume Liégey, Arthur Muller, Vincent Pons (Eve)
- Théorie du tube de dentifrice, Peter Singer (Ninon)
- Podcast : Your undivided attention (Eve)
- Newsletter : Beth Becker digital strategies (Ninon)
A propos des intervenants mentionnés :
Eve Zuckerman, France Digitale : Franco-Américaine, Eve a participé à des campagnes politiques d’ampleur nationale en France et aux Etats-Unis, notamment en tant que directrice numérique de la campagne présidentielle d’Alain Juppé, avant de rejoindre le cabinet du Premier ministre comme conseillère communication digitale. Elle est aujourd’hui la directrice de la communication et du marketing pour France Digitale.
Ninon Lagarde, Tous Élus : Militante de longue date, Ninon a cofondé Tous Élus, une association qui encourage les citoyens à se présenter en tant que candidats aux élections et leur apporte du soutien pendant leur campagne. Elle a créé l’Agence Ficelle pour accompagner les ONG, entreprises, associations et mouvement politiques sur les questions d’intelligence collective.
Bruno Walther, La Source Vive : Bruno a créé la première agence de communication politique en France et travaillé sur la campagne numérique de Jacques Chirac en 2002. Il codirige aujourd’hui avec Virginie Valiere l’agence La Source Vive, Architecte certifié NationBuilder, qui aide les organisations à mobiliser leurs supporters sur les questions climatiques.
Pour en savoir plus sur comment vous pouvez bénéficier de ces solutions pour remporter les prochaines élections, comme l'a fait En Marche en 2017, contactez Flore à [email protected].